Mes nuits avec J.
J. est mon ex meilleur ami. Je crois que c’est le deuxième homme après mon père à m’avoir autant brisé le cœur. Je crois que je ne souffrirai plus comme j’ai souffert pour lui. Voici notre histoire…
Au lycée je n’ai eu aucune histoire d’amour. Je passais mon temps à me rendre invisible pour ne pas morfler. En BTS, il n’y avait quasiment que des filles dans la classe ce qui arrangeait bien mes affaires car j’étais terrorisée par les hommes. Terrorisée et profondément attirée.
Mais je ne vivais des histoires d’amour que par procuration, dans ma tête, sur mon journal... Personne ne voulait de moi autrement qu’en amie. Et moi je tombais amoureuse de tous les garçons qui me prêtaient un minimum d’attention…Les sorties en boîte étaient au moins l’occasion de pouvoir parfaire les baisers avec la langue… Je savais m’en contenter vu que je ne me sentais absolument pas prête à coucher avec quelqu’un… A l’époque ma vie n’était que fantasmes…
Je suis arrivée à Angers pour continuer mes études. J’avais à peu près 21 ans… J’avais un peu avancé dans ma tête et c’est là que j’ai rencontré J. Il était plus âgé, il rigolait tout le temps, il se foutait de ce qu’on pouvait penser de lui, il venait de Paris, il était grande gueule, il avait connu plein de choses… Il a été un véritable électrochoc dans ma vie et un espoir que finalement il y avait peut-être des gars biens sur cette terre…
Dès le début de la première année, on n’a plus jamais été l’un sans l’autre. On créchait dans la même résidence universitaire. Tout le temps chez l’un chez l’autre. Il me faisait la cuisine, il m’apprenait la guitare… On rigolait beaucoup. Je ne me posais plus aucune question, je vivais. Il m’a appris tellement de choses en si peu de temps… Je le consolais quand ses histoires d’amour tombaient à l’eau, moi, j’enchaînais les râteaux… J’étais nulle, je ne savais pas comment m’y prendre, je me disais que les garçons devaient avoir peur de moi pour ne pas m’approcher… Je me sentais vraiment différente des autres filles, je ne connaissais rien à la séduction, mais je m’en foutais car j’avais le regard bienveillant de J. sur moi…
Et puis petit à petit, les choses ont commencé à mal tourner… Les sentiments ont pointé le bout de leur nez. Pour moi.
Stage de 3 mois. Je le fais à Paris. Lui aussi. Je suis dans un foyer de jeunes filles. Il est là dès le premier jour. C’est son anniversaire. Je lui offre Egoïste Platinum que j’adore. Je ne me doute pas à quel point c’est prémonitoire… On sort, on boit du thé sur les Champs quand on se rejoint après le boulot. On va au ciné, on fait du roller dans Paris à 2h du matin. Il me tient la main. Je suis de plus en plus folle de lui. Mais je reste muette comme une carpe.
Ma voisine de chambre est bizarre et assez agressive. Elle refuse que je prenne des appels quand elle me parle. Elle passe ses soirées à réciter des mantras devant des bougies. Une armoire nous sépare. Je passe mes soirées sous la couette à écouter mon walkman. Un soir, elle se jette par la fenêtre. Je suis alertée par les hurlements des filles dans le couloir. Elle est en bas. Je suis archi choquée. On m’emmène au poste pour un déposition. C’est l’horreur absolue. J’appelle J. Il me propose de venir chez lui. Il est tard. Je ne me sens pas de prendre le RER pour aller jusque chez lui. Je suis encore une petite provinciale trouillarde. Qu’est-ce que j’ai fantasmé par la suite sur cette nuit que j’aurais pu passer chez lui… Je me demande tout le temps ce qui se serait passé si j’y étais allée…
Je change de foyer. Le temps passe… Les choses ne changent pas beaucoup. On se cherche toujours. Un soir, je sors avec une copine du foyer. Je rencontre un gars. Il me
plaît. On se revoit et on sort ensemble. Il est beau. Je me dis pourquoi pas. Je mets J. au courant. Je suis presque fière de le lui annoncer. Le soir, on a une soirée tous les deux. On boit, on danse. On s’embrasse. Je n’oublierai jamais ce moment. Mes pieds ne touchent plus terre. Pauvre et naïve petite fille qui vit dans ses rêves et qui n’a pas compris combien le monde est cruel.
Petit matin. Il me ramène au foyer. On s’embrasse une dernière fois. On ne parle absolument pas de tout ça. On dirait que les choses sont assez claires. Je rentre, je me prépare à nouveau et je ressors rejoindre mon copain. Je suis déphasée mais j’aime ça car je me sens vivante.
C’est déjà la fin du stage. Je refuse de coucher avec ce mec le jour de mon départ mais je lui avoue ma virginité et il n’a pas l’air choqué. Ça me rassure. Il m’accompagne au train. Je retrouve J. dans le wagon. Je ne sais pas à quoi je m’attends mais surtout pas à faire comme si de rien n’était. Pourtant c’est ce qui se passe. Il me demande après mon mec. J’aimerais que ça dure car je sais que ça peut l’atteindre mais je n’y crois pas beaucoup.
La vie reprend à la fac. Les jours passent et se ressemblent. L’intensité est toujours là, plus forte encore. Le manque est brûlant, l’attente délicieuse. J’y crois toujours.
Une soirée d’étudiants où l’on se rend ensemble. Il me trouve belle. Je rentre avant. Le lendemain des copines viennent me chercher pour aller faire des courses. Je vois le rideau de J. baissé. Les filles qui glapissent : «ah ! J. n’est pas rentré seul hier ! ». Je fais semblant de rien mais un poignard me lacère la poitrine. On est au mois de Mai. Le lendemain c’est mon anniversaire. Je vis dans un scaphandre. Je suis complètement au radar.
On sonne à ma porte. C’est lui. Il insiste. Je ne réponds pas. Il m’appelle. Je lui demande de me laisser tranquille. Il revient à ma porte. Il sait que je suis là. Il me parle à travers la porte. Il attend. J’ouvre. Il tient un plateau avec un petit déjeuner. Je m’en souviens encore. Il y avait du miel et des roses… Il pleure mais peut-être moins que moi après tout. Il me parle de Fanfan d’Alexandre Jardin, que l’amour platonique est le plus beau. Que ce que l’on vit est une chance. Qu’il ne veut pas me perdre. Moi non plus. Mais j’en veux tellement plus. J’attends ça depuis l’éternité. Mais on ne s’aime pas de la même façon alors quel avenir pour deux cœurs qui se repoussent ?
Des fleurs pour mon anniversaire. Je sais que j’y crois encore… Mais j’ai tellement mal. Il organise une petite virée dans l’herbe avec nos copains. Faut que je fasse bonne figure mais le gâteau est en carton. La vie n’a plus de goût.
Un dernier effort. C’est bientôt la fin de l’année. Je ne fais plus la tête. Je crois avoir dépassé tout ça. Bibliothèque universitaire. Il me fait passer un mot : veux tu partir faire le tour de la Corse avec moi cet été ? Je lui dis que non, qu’il est fou. Mais au fond je suis touchée. Le feu couve toujours sous les braises… Je ne sais pas à quoi il joue mais peu m’importe, je ne vis que pour ces moments où mon cœur bat si fort.
Leur histoire dure et dure et je ne peux plus supporter de les voir ensemble, là, allongés sur les bancs de l’école. Et moi qui doit faire comme si de rien n’était. Comment peut-il être égoïste au point de me demander d’être là pour lui. Les autres sont tellement étonnés de ne plus nous voir traîner ensemble. Je suis comme les pierres : malheureuse et figée dans la souffrance. Le programme Erasmus se met en place pour l’an prochain. Je m’inscris. Je passerai l’année suivante en Angleterre.
C’est fini. Je rentre chez moi dans le sud. Je souffre atrocement. Je pleure l’équivalent de la mer Méditerranée. Je ne savais pas que l’on pouvait dormir d’épuisement et se réveiller avec des larmes… Je n’ai presque aucun souvenir de cette période à part penser à lui. Je travaille dans un hôtel. Je sors avec ma cousine. Je rencontre des gars pour un soir. Ma situation n’évolue pas.
C’est la rentrée. Deuxième année. Je pars en Angleterre. Je rencontre une fille géniale. Je n’aurais pu rêver mieux. Je lui raconte toute l’histoire. Elle me soutient énormément. On passe des soirées à essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer dans sa tête à lui. Je souffre de toute cette incompréhension. Je lui envoie un mail, dernière bouée à la mer pour glaner des réponses que je n’aurai jamais. L’année passe. Je plais à des gars mais je m’en fiche maintenant. Je me demande si je ne suis pas homosexuelle au fond. Je pique le copain d’une autre, juste comme ça, pour la soirée, pour me prouver quelque chose. Je m’amuse par dépit parfois, mais j’essaye de guérir et je passe aussi des moments inoubliables avec mon amie.
L’année est finie. Je fais un stage de deux mois l’été à Paris. Je revois J. à une sortie au restaurant avec les autres. Je regarde ailleurs. Je réponds à peine à ses questions. Je fais semblant de rien. Je me suis un peu habituée à ne plus l’avoir près de moi.
C’est la rentrée pour la dernière année qui ne dure que trois mois. Il n’est plus là. Il ne fait pas sa troisième année. Il a trouvé un poste et il travaille. Je m’amourache d’un gars qui craque pour une autre. Je dois être maudite. Mon père a dû jeter son âme sur tous les hommes de la terre.
J. et sa copine finissent par se séparer. Il en souffre apparemment. La pauvre fille que je suis pense toujours qu’il va peut-être finir par ouvrir les yeux et courir vers elle. J’ai l’impression d’avoir une vie différente à lui offrir. J’ai la conviction peut-être universelle que nous deux ça peut être différent des autres… Mais il ne revient pas. Il part dans les îles.
Un jour, un mail. Mon cœur se remet à battre. La mémoire du cœur est imbattable. Des photos. Il est avec une autre fille. Un petit mot : Salut M. comment ça va pour toi ? Ici l’eau est bleue, je me fais masser tous les jours… A bientôt. Je dois rêver éveillée. Que me veut-il ? N’a t’il pas encore compris à quel point il a broyé mon cœur ?
J’essaye de sauver la face et je réponds comme ça, pour voir si l’on peut redémarrer une amitié. Mais nos échanges sont insipides. La magie n’est absolument plus là. J’arrête tout.
Et je rencontre P. l’homme avec qui je suis toujours aujourd’hui. P. est à la raison ce que la passion était à J.
J. est toujours dans un coin de mon cœur, mais sa part est de plus en plus petite. Je ne réponds jamais aux mails. Par contre, je rêve beaucoup de lui.
Peut-être un an après, je suis dans la voiture avec P. et mon téléphone sonne. Je ne connais pas le numéro. Je décroche. C’est J. Je suis étonnée mais heureuse de l’entendre. Il est rentré en France. On papote comme si on s’était quitté la veille… Puis plus rien. Plus de batterie. Je regarde P. J’ai l’impression de ne rien avoir à me reprocher.
Finalement le contact ne se refait pas. Je n’y tiens pas plus que ça. Je ne rappelle jamais. Pour lui quelques appels de loin en loin, des mails. Je ne réponds jamais non plus.
Je rêve toujours de lui. Plus les années passent et plus je fantasme sur lui. Sur nous. On ne s’est plus revus. Il me sert parfois d’échappatoire durant mes nuits avec P. L’adrénaline monte de suite. Je me confie à une copine. Et si ce qui me manquait, au fond, c’est de n’avoir jamais couché avec lui ? Mettre du piment dans ma vie ne semble pas me faire peur. Dans ma tête, les scénarios s’enchaînent… Je décide de le revoir pour faire le point sur ce que je ressens.
Le jour J, je suis morte de trouille, limite au point d’être malade. Après toutes ces années, même ma copine n’en revient pas. Et puis il arrive. On ne s’est pas vu depuis au moins 3 ans… Je suis moins chamboulée que je ne l’aurais cru. Ma copine sert d’intermédiaire et nous aide à faire le point toutes ces années après. Je lui avoue les sentiments qu’il connaît déjà et lui de son côté résume un peu tout ça à une histoire de jeunesse, pas plus pas moins. Peut-être a t’il effectivement ressenti une certaine attirance pour moi au début de notre rencontre mais ses sentiments se sont vite transformés en amitié. Juste le contraire de moi en fait.
Les choses peuvent-elles être aussi simples ? Il parle de son enfant, de sa vie… Mon dieu que le fossé entre nous est grand. Même le fantasme devient moins excitant.
Un an après, mariage de ma copine. J. est là avec sa future femme. J’ai l’impression d’être dans une mauvaise comédie anglaise. On est tous là avec nos nouvelles vies et plus rien qui colle.
Je ne veux pas le revoir ou avoir des nouvelles. Cela ne m’apporte rien. Mais de mon côté, j’en ai toujours. Pas plus tard qu’hier en fait. Il m’appelle 2 ou 3 fois par an et laisse des messages. Je ne décroche jamais et ne rappelle jamais. Hier c’était pour avoir des nouvelles et m’annoncer la naissance de leur troisième enfant. M’a t’il vraiment connue à l’époque ? A t’il saisi mon tempérament de fille entière et mon caractère à fleur de peau ? L’envie de vivre une autre vie ? Il me prouve le contraire en m’appelant pour parler de toutes ces choses qui font la vie de mes voisins.
Aujourd’hui j’ai ressenti le besoin d’écrire toute l’histoire. De la faire sortir de moi une bonne fois pour toute.
Peut-être que finalement j’ai rêvé tout ça. Peut-être que notre histoire n’a jamais été rien d’autre qu’une passion dans ma tête. Que notre relation était unilatérale. Que j’ai projeté sur lui un fantasme de vie, de couple, d’amour. Je ne sais pas et je m’en fous. Mais je ne regrette rien tant aujourd'hui que ses appels qui ont fini de dénaturer les souvenirs encore beaux qu'il me restait de cette histoire.
õõ/õõõ